L’Irak, route vers l’inconnu

Nous sommes à la frontière turque à Habur. De l’autre côté c’est Ibrahim Khalil et l’Irak. Nous n’avions jamais prévu de descendre par la péninsule arabique mais les récents évènements en Iran et l’inquiétude grandissante de nos proches ont fait que nous avons décidé de contourner l’Iran par le sud et de reprendre un bateau vers l’Inde à Dubaï ou Muscat (sultanat d’Oman). Or, le pays est divisé en deux parties depuis la guerre : au nord l’Irak Kurdistan qui a obtenu son indépendance, et au sud l’Irak fédérale, où l’on trouve la capitale, Bagdad. Sur les différents sites de voyageurs « overlander » nous avions lu qu’il était devenu impossible de traverser du nord au sud le pays, car le visa délivré par le Kurdistan n’est pas accepté en Irak fédérale, et à la frontière fédérale, ils ne délivrent aucun visa à l’arrivée (directement au poste frontière). Par contre cela se fait sans problème dans l’autre sens (entrer en Kurdistan avec le visa fédéral). Nous avions pris contact avec une famille française dans le même casque nous et qui attendait plus au sud de la Turquie, à Gazientep, de trouver une solution pour passer cette frontière. Ils avaient eu comme information à l’ambassade d’Irak à Istanbul que le passage serait faisable à nouveau, une nouvelle loi établie depuis peu. Nous étions donc les premiers à tenter ce franchissement…en cas de refus c’est demi-tour vers la Turquie ! Un motard anglais lance les hostilités, et bonne nouvelle, il nous écrit de Bagdad, il est passé ! C’est au tour de la famille d’Amira de tenter le passage, nous sommes une journée derrière eux, et le passage est réussi aussi ! Alors nous nous lançons, nous sommes début octobre et nous arrivons à la frontière irakienne…situation improbable.

Passage de frontières.

Pour sortir de Turquie cela aura été très rapide : présentation des passeports et de la carte grise, fouille légère du véhicule (on ouvre les portes..) et c’est passé. Nous entrons dans le no man’s land qui est assez impressionnant : d’un côté la Turquie, très urbanisé, avec des magasins modernes partout, des pelouses vertes, des arbres, des aires de jeux, des néons et des enseignes lumineuses, on ressent comme un besoin de montrer une certaine puissance économique aux voisins, une volonté d’impressionner. De l’autre côté de la rivière c’est la Syrie, et le désert…Puis l’Irak, également du désert pour nous accueillir. Au poste frontière nous sommes très agréablement accueillis, les gens sont gentils, souriants et ravis de voir des étrangers. IA l’aide d’un QR code nous accédons à la demande de visa Kurde en ligne qui nous coûtera 75USD chacun (le dollar américain est toujours utilisé) et qui est attribué en quelques minutes. Seul Julien devra attendre 5h pour recevoir le fameux sésame, on ne saura jamais pourquoi ! L’attente sera très longue, nous prenons le temps de cuisiner et de faire l’école.. sur un parking de frontière, une fois n’est pas coutume! Une fois le visa reçu nous allons présenter nos passeports, notre carte grise, notre attestation d’assurance (qui prendra un peu plus de temps car c’est écrit en français..) et nous passons à la fouille du véhicule. Nous voici dans ce pays vraiment inattendu : l’Irak !

Au poste frontière irakien

Il est déjà tard, nous arrivons vers la ville de Dahuk. Pour ne rien cacher nous avons une certaine appréhension, nous sommes nourris par les peurs véhiculées par les médias (l’Irak c’est dangereux, c’est la guerre, Daesh..) et nous n’osons pas trouver un spot pour la nuit. Nous nous arrêtons dans un immense mall (centre commercial) flambant neuf afin de changer des dollars en monnaie locale; c’est assez perturbant, le centre est absolument vide. Après avoir arpenté cette ville chaotique nous décidons de nous arrêter dans un hôtel. Le camion est garé à l’arrière, nous nous sentons « en sécurité ». Sous les conseils avisés de l’hôtelier nous allons dîner dans un restaurant kurde typique de la ville. Bien nous en a prit ! Nous sommes à peine attablés que celle ci se voit envahie de mets en tous genre : bouillon, soupe de poulet, salade de concombre, taboulé, salade de pâtes, hummous, et pain géant évidemment ! Et tout ça, gratuit ! Nous sommes gênés au moment de commander des plats, car tous ces mets nous rassasient déjà…Alors nous commandons deux spécialités et ce sont des plats monstrueux qui font leur apparition…Un véritable régal mais nous sommes fourbus.. Un thé nous est offert par la maison, et nous repartons l’estomac tendu pour un tarif dérisoire de.. 15€.

Première galère : le diesel.

Nous reprenons la route en direction de Mossoul.. et nous rencontrons déjà notre première galère, dans chaque station où nous nous arrêtons il n’y a plus de diesel.. Nous demandons à un taxi de l’aide et il nous emmène dans une autre station où il nous est à nouveau refusé de faire le plein. Toujours avec le sourire, on nous explique gentiment qu’il n’y a plus de diesel, « finish! » répètent-ils ! Effrayés car notre jauge est proche de zéro nous implorons le responsable qui fini par accepter de nous donner cinq litres.. je lui explique que nous sommes une famille, que nous allons vers Bagdad.. il accepte dix puis finalement vingt ! Nous espérons pouvoir simplement atteindre Bagdad avant la panne !

Les check point.

La route est un immense désert.. du désert, du désert et rien que du désert…la route est défoncée, les abords sont terriblement tristes tout comme ces petites villes que nous traverserons.. Nous sommes dans une zone tendue, le Kurdistan est encore témoin de tensions politiques, et nous avons un checkpoint tous les 25km environ. Des hommes lourdement armés nous arrêtent afin de contrôler nos passeports. Cela ne prend que quelques minutes mais à chaque fois la surprise est la même : nous sommes accueillis avec un immense sourire, des « hello ! » , « you’re welcome!  » (vous êtes les bienvenus), on va vite nous donner des bouteilles d’eau fraîches surtout lorsqu’ils voient les filles à l’arrière, bref, cela enlève absolument toute appréhension. Nous croisons énormément de postes armés tels des bunkers le long de la route, avec des hommes et des mitrailleuses qui sortent des meurtrières.. Nous sentons que cette partie du pays est sous haute surveillance. Mais ce qui est drôle c’est d’être interrompu en plein cours de français ou de maths par des militaires kalashnikov au bras, tout sourire, et que cela n’inquiète personne, ni les enfants, ni nous! Finalement on s’y habitue très vite! Néanmoins notre seule inquiétude qui demeure est le diesel.. La chaleur aussi est de la partie, nous atteignons les 35-38°, nous n’avons pas de climatisation, l’air est brûlant, il va falloir nous acclimater après les températures presque hivernales de l’est de la Turquie !

La frontière Irak Fédérale.

Nous sommes arrêtés un peu plus longtemps qu’ailleurs à un checkpoint. En plus des passeport on nous demande notre visa (kurde). Les militaires prennent le temps d’appeler le chef qui est absent, pendant ce temps nous nous donnons à une séance photo avec les militaires qui n’hésitent pas à ouvrir la porte et entrer dans le camion pour prendre la pose ! Au bout d’une heure, avec toujours des mots bienveillants nous voici repartis en direction de Bagdad ! Et c’est seulement à ce moment là que nous nous rendons compte de la situation, nous venons de passer la frontière de l’Irak fédérale ! Ce que nous avons pris pour un simple check point était en fait la frontière, nous avons donc réussi à passer sans encombre avec notre visa kurde ! L’autoroute (enfin la double route du désert!) est une longue ligne droite au milieu du désert brpulant…la route est monotone mais impressionnante quand on se remémore l’histoire (sanglante) et récente de ce pays. Un sentiment profond de tristesse et d’empathie nous empare.

Bagdad.

Nous approchons de Bagdad et le chaos se dessine petit à petit.. de nombreux chantiers pullulent, de gros camions roulent dans tous les sens, des magasins délabrés parsèment les bord de route, certaines façades sont encore criblées d’impacts de balles.. et puis il règne une ambiance déconcertante. Un nuage de pollution mélangé à de la poussière nous accueille, la lumière descendante du coucher de soleil rend ce spectacle.. angoissant. Nous ne savons pas où dormir, nous n’avons pas de carte sim et donc pas de réseau depuis notre entrée dans le pays. Il n’est pas question pour nous de trouver un spot ici (et on a vraiment du mal à imaginer où se garer pour la nuit) et c’est un peu inquiets que nous nous dirigeons vers la capitale. Finalement nous réussissons à localiser un hôtel à l’extérieur de la ville grâce à une application hors ligne, alors nous continuons notre chemin.. sauf qu’ici, en Irak, tout est en devenir. Même les routes ! Alors que nous entrions dans la capitale, notre route est stoppée net par un poteau de béton ! La route mentionnée par le GPS n’existe pas encore, c’est un vaste chantier qui se dresse devant nous.. Nous voici perdus, dans le noir, en pleine ville mais pas n’importe laquelle, nous sommes perdus dans Bagdad. Cela pourrait faire rêver plus d’un aventurier mais de notre côté cela laisse plutôt place à l’angoisse et l’appréhension.. Comment retrouver son chemin quand le GPS ne cesse de demander le demi-tour et qu’il n’existe aucun panneau de signalisation ? Nous nous retrouvons donc en plein cœur de la ville, au milieu des dizaines de tuk-tuk noir et jaune, des habitants qui vivent à la nuit tombée, des commerces de rue, et tout ça avec notre gros camion français, nous ne laissons pas indifférents ! Encore une fois nous subissons des regards incrédules mais emplis de joie et de surprise.. et tous ces sourires ! Un gars mort de rire nous arrête même en plein milieu d’un carrefour pour demander ce que nous faisons ici ! Cela nous prendra presque une heure pour réussir à sortir de ce chaos et être confrontés à notre second problème de la soirée : la green zone ! En effet une zone de sécurité a été créé à Bagdad afin de sécuriser les hôtels et les habitants de cette zone. L’ironie de l’histoire est que nos véhicules sont interdits et sans explication. Evidemment notre hôtel s’y situe.. Nous sommes assez étonnés de la situation, ils créent une zone de sécurité car il y a des risques d’attentats dans la ville, mais nous, touristes, n’avons pas le droit d’y accéder car simplement nous sommes véhiculés ! Nous essayons d’insister mais malgré leurs sourires et leur air courtois, les militaires et leurs kalashnikov nous dissuadent assez vite, nous faisons donc demi-tour, mais il faut trouver vite une solution.. nous ne chercherons pas longtemps, à quelques encablures de cette zone se dressent des hôtels de luxe, alors nous nous y engouffrons et la note sera salée, 200USD la nuit pour un seul lit double.. nous devrons encore batailler afin d’obtenir deux lits pour les enfants. Quelle soirée! Nous nous couchons dans une suite avec vue sur Bagdad en songeant à cette journée.. oui nous sommes à Bagdad, en Irak.. nous avons peine à y croire.

2ème galère : le diesel.

Nous avions réussi à atteindre la capitale avec nos vingt litres, mais là nous sommes à sec, il nous sera impossible de quitter la ville sans tomber en panne ! Nous demandons de l’aide à des policiers (garés à côté d’un tank) qui nous conduisent vers la seule station délivrant du diesel. Il faut dire que dans toute la ville des tanks, et des militaires armés jusqu’aux dents sont positionnés, et ce, à tous les coins de rue. Nous nous retrouverons même par hasard en plein cœur d’un convoi militaire, certainement d’une personnalité politique, entre des dizaines de voitures armées, des militaires assis à l’arrière, armes au poing, et qui nous scandent des « hello », « welcome » avec des sourires et des signes de mains. Epique ! Bref nous arrivons accompagnés des policiers à la station et nous nous confrontons à la même réponse, « c’est vide! ». J’essaie, en vain, de le convaincre, mais il nous montre son honnêteté en nous offrant cinq litres de son générateur ! Il nous donne une adresse où il nous assure que les cuves ont du diesel et nous repartons donc à travers les embouteillages de Bagdad car évidemment, cette station se trouve…au nord de la ville. Après plus d’une heure à serrer les dents nous atteignons cette station où une file incommensurable de poids lourds attend le diesel tant espéré. Nous les doublons et nous retrouvons pour la énième devant des refus. cette fois-ci je sors le grand jeu de la comédie française, ma fille à la main, je vais implorer à la limite des larmes en expliquant que nous n’avons aucune solution, c’est du diesel où nous campons là ! Il accepte de nous donner miraculeusement cinq litres, je lui dit qu’on ne peut rien faire avec ça, cela passe à dix puis finalement à trente au bout de dix minutes ! A quarante centimes le litre nous aurions préféré pouvoir faire le plein ! Nous espérons pouvoir atteindre la frontière avec le Koweït car à ce rythme là c’est certain que nous n’en aurons plus une goutte…d’ailleurs tout le long de la route nous verrons ces files interminables de poids lourds qui campent directement sur la bretelle d’autoroute, dans le seul but d’attendre un vain plein de diesel..

Frontière Irak fédérale – Koweït

Enfin nous voyons les panneaux annonçant le Koweït, notre jauge est presque vide mais il en reste suffisamment pour atteindre le poste frontière ! Nous n’avons jamais autant stressé de manquer de carburant et de nous retrouver en plein désert, c’est certain, ce n’est pas ici qu’Europe assistance va débouler avec sa dépanneuse en moins de deux heures ! Après avoir roulé toute la journée, mangé (très) copieusement sur une aire de repos, fait de nombreuses photos avec les irakiens sur place, nous arrivons tard le soir à la nuit tombée, et nous apercevons au loin de nombreux feux de pétrole, l’image est impressionnante. La frontière entre l’Irak fédérale et le Koweït se situe à Safwan près de la grande ville de Bassorah. Le cadre change radicalement, de nombreux panneaux vantant la beauté de Bassorah sont disséminés tout le long de la route, des panneaux lumineux, des lampadaires colorés se trouvent de tous côtés, bref ce n’est pas l’Irak que nous venons de traverser ! La traversée de la frontière prend plus de temps, ici l’administration est lente, dispersée, brouillon, et nous finirons découragés par demander de l’aide à un des « fixeur » afin de faciliter les démarches. Ce sont de jeunes irakiens qui attendent à la frontière afin d’aider les étrangers à rédiger et récupérer les documents officiels. En fait ce cirque est bien rôdé et c’est la corruption qui règne car il ne reste rien au jeune garçon, le douanier en garde la grande majorité. Nous présentons donc les passeports, la carte grise, nous avons le droit à une fouille interminable du camion (une fouille sans fouiller qui plus est). Cette sortie nous coûtera vingt trois dollars + le billet donné au fixeur.

Bilan: frustration.

Une fois ces trois jours / deux nuits passées, lorsque nous sommes arrivés au Koweït, les esprits apaisés par ces journées de stress intense, nous nous rendons compte à quel point nous sortons frustrés de cette expérience. L’Irak que nous avons vu ne ressemble en rien à ce que l’on nous avait raconté. Nous avons vu des visages souriants, des gens heureux de voir enfin des étrangers chez eux, nous avons beaucoup échangé avec les habitants, les militaires, nous avons été gâtés, très bien accueillis et, trois jours après, nous nous rendons compte que nous ne nous sommes pas sentis en insécurité ! Certes le danger est présent, ce pays est encore fragile, mais l’on sent surtout à quel point il a envie de changer son image, à quel point ses habitants ont envie de faire table rase du passé et de se tourner vers l’avenir ! Nous aurions finalement aimé en découvrir un peu plus sur eux, pouvoir découvrir les merveilles de Babylone, l’Irak est un des joyaux de la civilisation ! Malheureusement le manque cruel de diesel, la peur totalement irrationnelle avec laquelle nous l’avons traversée font qu’aujourd’hui nous repartons frustrés. Nous mesurons la chance que nous avons d’avoir pu découvrir une petite partie de ce pays et espérons très sincèrement pouvoir un jour y revenir et y passer plus de temps, sereinement.

Prochaine destination : le Koweït !

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